Comment trouver du travail à l’étranger quand on accompagne son conjoint expatrié ? C’est la question que nous avons posée à Alix Carnot, Directrice du développement chez Expat Communication, spécialisée dans l’accompagnement de la carrière des expatriés et des conjoints. Elle revient sur ses 15 années d’expatriation avec ce premier constat : si travailler en France quand on est femme et maman paraît naturel, évident, ce n’est pas aussi simple dans la plupart des autres pays. Force est de constater, à l’instar d’Anne-Marie Slaughter, que les femmes ne peuvent pas toujours tout avoir… en même temps
Expatriation.com : Comment avez-vous décidé de partir travailler à l’étranger ?
Alix Carnot – Avec mon mari, on est typiques de la génération « on aura tout ! ». Persuadés qu’une bonne carrière passe par la case expatriation, nous nous sommes toujours dit que le premier qui trouvait du travail, l’autre le suivrait et chercherait du travail sur place. Mon mari a été le premier à avoir un poste à l’étranger.
Expatriation.com : Avez-vous pu trouver du travail facilement ?
Alix Carnot – Je me suis pris une porte dans la figure. Mais j’ai fait tout à l’envers car j’étais trop impatiente. Quand j’ai suivi mon mari en Australie, j’étais déjà maman et enceinte de mon deuxième enfant. J’ai vite compris qu’en France, s’il était normal pour une femme de travailler en étant maman, c’était plus compliqué à l’étranger. Les femmes ont plus souvent tendance à s’arrêter de travailler avec la maternité, que ce soit en Australie ou ailleurs. Je suis restée un an au chômage en Australie avec deux enfants alors que j’avais vraiment envie de travailler, même à temps partiel.
Expatriation.com : Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Alix Carnot – Ma principale difficulté a été de comprendre dans quelle mesure j’étais employable à l’étranger avec mon parcours. Car ce qui est sûr,c’est que d’un pays à l’autre, ce ne sont pas les mêmes compétences qui sont demandées. Je travaillais en marketing pour une entreprise publique. Les Australiens traduisaient en marketing du monopole, ça les faisaient rire. Il a fallu leur montrer en quoi mon savoir-faire pouvait être utile chez eux. Un facteur à bien prendre en compte lorsqu’on est une femme et que l’on veut partir travailler à l’étranger quand on a des enfants, c’est que c’est souvent très compliqué et très cher de faire garder ses enfants. On réduit ça à une dimension simplement d’ordre logistique, mais une fois sur place on se rend compte que c’est carrément structurel. Il faut faire la distinction entre chercher du travail en tant que femme et en tant que maman quand on veut s’expatrier.
Expatriation.com : Comment font les couples Australiens alors par exemple ?
Alix Carnot – Avoir des enfants coûte très cher, donc on économise pour avoir des enfants, on en fait peu et on en a tard. Pour eux, c’est un investissement, et pour les expats qui veulent travailler dans ces pays, il doit en être de même. L’Etat Providence n’existe qu’en France.
Expatriation.com : Quelles leçons en avez-vous tiré ?
Alix Carnot – Que le fait de chercher du travail en étant enceinte est une bonne façon de brûler son réseau ! Cela m’a appris à être plus tactique. Si l’on a noué des contacts importants, il vaut mieux les utiliser quand on est vraiment prêt(e) à trouver du travail. Et puis j’ai compris que le marché du travail est très différent d’un pays à l’autre. Il faut prendre le temps de se renseigner et se faire aider.
Expatriation.com : Quel conseil donneriez-vous à une femme avec des enfants qui accompagne son mari à l’étranger ?
Alix Carnot – Dans mon cas personnel, nous bougions tous les deux ans. C’est très particulier, et dans ce cas, je pense qu’il vaut mieux éviter de chercher du travail à temps plein car, on est tout le temps en période. Il faut savoir que les postes d’expatriés d’entreprise, entraînent beaucoup de travail et de déplacements, on est souvent amené à se déplacer. Dans ce cas, c’est plus difficile de se décharger totalement sur une nounou, d’autant plus que les enfants sont déjà déstabilisés par le changement de vie. Il vaut parfois mieux pour le conjoint chercher un boulot à temps partiel. Pour moi, j’ai trouvé qu’être indépendante facilitait cette organisation. Mon métier de consultante m’a permis d’organiser mes propres horaires. Quand on travaille comme salariée, c’est parfois plus compliqué. Pour un couple avec enfant, la contrepartie du nomadisme intense, c’est qu’il est difficile que les deux parents travaillent à temps plein.
Expatriation.com : Est-ce aussi compliqué quand on n’a pas d’enfant ?
Alix Carnot – C’est plus simple mais il reste des obstacles à lever. Quand on est conjoint accompagnateur, il faut bien se méfier des visas. Vérifiez soigneusement ce que vous permettra votre visa. Le statut « dépendant » est souvent indiqué dessus, cela ne facilite pas votre recherche ! Le problème lorsque l’on suit son partenaire, c’est que l’on n’a pas la main sur le temps, sur les délais, on ne sait souvent pas pour combien de temps on est dans le pays. Et quand il y a des dates indiquées sur le visa, elles peuvent être un frein aussi. La barrière de la langue est aussi beaucoup plus compliquée pour l’accompagnateur car lui pourra rarement se contenter de parler anglais au bureau, il doit avoir un bon niveau dans la langue locale, plus encore que l’expatrié.
Expatriation.com : Qu’avez-vous fait pour remédier à ces difficultés ? Quelle a été votre stratégie ?
Alix Carnot – J’ai toujours accompagné mon mari et toujours trouvé du travail, quel que soit le pays dans lequel je me trouvais, en essayant toutes les stratégies possibles ! Premier impératif : apprendre la langue et trouver des lieux pour la pratiquer intensément. Dans mon cas, j’ai peu à peu élaboré une carrière portable, c’est-à-dire que je gardais mes clients en France, travaillais à distance et faisais du commuting. Il y a plusieurs approches possibles. La question de base est de savoir ce que nous apportons au marché. Quelle est notre valeur ajoutée par rapport aux locaux qui ont les mêmes qualifications, la même expérience que vous et qui parlent en plus la langue maternelle ? La première stratégie est d’être expert dans son domaine, et notamment dans les métiers en tension. Une autre stratégie consiste à travailler pour la communauté française dans laquelle nos compétences sont reconnues (professeur, psychologue, relocation…) et enfin, celle pour laquelle beaucoup optent naturellement consiste à dire « je valorise le fait d’être français », je veux importer mon savoir-faire français, je suis restaurateur, professeur de Français, boulanger… Ensuite, il y a la stratégie d’approche. La meilleure c’est le réseau. Grâce au réseau que j’ai pu tisser en amont, j’ai pu trouver du travail en Espagne sans parler espagnol, ce qui est impensable sans cela. Selon la durée de votre séjour, vous pourrez appliquer la stratégie de la cueillette qui consiste à prendre le premier job qui passe pour se mettre le pied à l’étrier. Serveuse, par exemple, au moins on apprend la langue. Quand on a plus de temps, et d’atouts dans sa manche, la stratégie du laboureur consiste à aller au plus profond de ses aspirations.
Expatriation.com : Y’a-t-il une mauvaise stratégie ?
Alix Carnot – Oui, rester seul ! Il ne faut jamais rester tout seul, ce n’est pas l’ordinateur qui donne du travail.
Expatriation.com : Où habitez-vous maintenant et que faites-vous ?
Alix Carnot – En revenant à Paris, je me suis demandé ce que j’avais envie de faire, dans l’accompagnement de carrière, je me suis rendu compte que le marché était déjà très mûr. Alors je me suis spécialisée dans l’accompagnement de la carrière des expatriés et des conjoints. J’ai eu envie de travailler avec des gens avec qui je me sens bien, avec qui je partage des valeurs, car je suis en France pour longtemps. Je termine un livre sur le thème du couple et la double carrière en expatriation, qui devrait sortir cet été chez Eyrolles. J’ai rejoint Expat Communication qui prépare et accompagne les expats dans l’expatriation. Pour l’instant je me pose et je cultive mon jardin !
Expatriation.com : Quels conseils donneriez-vous aux Français qui souhaitent travailler à l’étranger ?
Alix Carnot – La mobilité aujourd’hui c’est quelque chose qui paraît normal, c’est devenu banal. Si bien que les Français qui veulent travailler à l’étranger confondent expatriation et déménagement . Ils ne se préparent plus autant qu’avant et ils se prennent un choc culturel en retour. Or ce n’est jamais une expérience banale et la réussite de l’expatriation se joue beaucoup dans la préparation. Ce n’est pas un déménagement, c’est un déracinement.
Expatriation.com : Quel est votre meilleur souvenir de femme expatriée ?
Alix Carnot – A Rome, quand j’animais le réseau Pontevia! dédié la recherche d’emploi des professionnels francophones et italophones à Rome. Nous étions réunis au Palais Farnèse, il y avait beaucoup d’enthousiasme parmi les personnes présentes, un projet humainement magnifique dans un cadre somptueux ! Lire aussi l’article d’Anne-Marie Slaughter « Why women still can’t have it all » sur The Atlantic Retrouvez Alix Carnot au Salon « S’expatrier, mode d’emploi«