Monter une entreprise, investir ou créer une filiale aux Etats-Unis, c’est le rêve que partagent de nombreux Français ayant l’esprit d’entreprise. Le chemin n’est pas simple, aussi quoi de mieux que le retour d’expérience d’un Français pour en parler ! Nous avons interviewé Jean-Michel Planche, co-fondateur et Vice-Président de la Technologie et de l’Innovation de Witbe. Witbe est une société à l’origine française, qui possède maintenant des filiales au Canada, en Amérique et en Asie et dont les dirigeants se sont installés à New York il y a 3 ans.
L’histoire de Witbe
Jean-Michel Planche est à l’origine de l’idée de Witbe, mais que vaudrait une idée sans sa mise en oeuvre et sans son évolution, au fur et à mesure de son développement. Aussi Witbe ne s’est pas créé en 2000 à partir d’une idée, mais à partir d’une équipe soudée et solidaire, prête à relever les plus importants défis et premièrement, un développement ambitieux à l’international. Et cette idée a évolué avec le temps, grâce à la complémentarité de l’équipe, depuis le monitoring des services critiques Internet jusqu’à un monitoring complet de tous les flux et services des entreprises et des opérateurs, sur tout types de réseaux, à partir de tout types de terminaux.
Expatriation.com : Pouvez-vous présenter WITBE ?
Jean-Michel Planche – Witbe est un éditeur de logiciel d’origine française développant une technologie novatrice pour appréhender et aider à améliorer rapidement la qualité des services critiques délivrés par les opérateurs et les centres informatiques des entreprises. La particularité de Witbe est de savoir aussi bien travailler sur des applications Internet, applications métiers, des services de téléphonie (fixe ou mobile) jusqu’aux services audiovisuels accessibles depuis le satellite, le câble, l’IPTV et jusqu’aux nouveaux services vidéo dits OTT.
Le groupe Witbe compte une centaine de collaborateurs répartis entre la maison mère française et 5 filiales à New York, Montréal, Singapour, Hong Kong et Casablanca pour un chiffre d’affaire global de 16 millions d’euros.
Expatriation.com : Quel a été le parcours de création de la filiale de la maison mère française aux Etats-Unis ?
Jean-Michel Planche – Très tôt nous savions que nous devions nous développer sur le territoire américain mais nous avons d’abord développé l’Europe, qui a pris un peu plus de temps que prévu. L’expérience Européenne a été un très bon tremplin pour passer à une véritable phase internationale en Asie et en Amérique. En effet, à moins de 2h d’avion de notre “base historique”, nous avons à notre disposition un ensemble d’expérience, d’histoire, de façon de travailler absolument unique et fondamentale lorsque nous devons aborder un territoire aussi vaste que les Etats-Unis ou vendre et supporter des clients jusqu’en Asie où la distance et la langue ne pardonnent rien.
Expatriation.com : Quelles aides, quels appuis avez-vous trouvé pour créer cette filiale aux Etats-Unis (aussi bien du côté français qu’américain)
Jean-Michel Planche – Nous avons utilisé le concours d’avocats spécialisés (émigration, droits des affaires, corporate …), pour nous accompagner tout au long de notre développement. Il faut suivre le process et s’assurer du coût initial avec son avocat. Eviter les coûts cachés.
Négocier un tarif unique englobant toute la création de son entreprise.
Ensuite, au niveau du développement, beaucoup de choses existent et la France a développé des programmes particuliers tout à fait intéressants ces dernières années:
• Ubifrance : pour faciliter l’embauche de collaborateurs français par exemple
• Coface : pour assurer son développement à l’international
• FASEP : pour l’assurance des filiales
• Et ensuite des programmes de prêts avantageux existent, comme le CDI : Crédit Développement International
Cela permet à la maison mère de renforcer sa/ses filiale(s) à moindre coût en personnel, en BFR (besoin en fonds de roulement) et en financement.
Expatriation.com : Quelles sont les spécificités US pour créer une filiale ?
Jean-Michel Planche – Créer une filiale aux Etats-Unis n’est pas plus compliqué qu’ailleurs. Il suffit d’être entouré des bons conseils. Les démarches administratives ne sont pas plus complexes, voire beaucoup moins en ce qui concerne le social, que la France. Par contre la première différence lorsque l’on vend vraiment aux Etats-Unis est de se plier aux exigences d’un pays que l’on pensait « un » et que l’on découvre multiple au travers de ses “Sales Tax”. En effet, la TVA n’existe pas et il faut facturer une “Sales Tax” qui dépend à la fois du produit que vous vendez, du type de prestation et du lieu (l’état américain) où vous le vendez/expédiez. Si vous ne le précisez pas, votre prix, à la différence du grand public, est réputé être “toutes taxes comprises” et vous aurez donc à reverser aux différents Etats les sales taxes que vous avez en théorie collectées pour eux. Il faut donc faire très attention à tout l’encadrement lié à la vente. L’aspect contractuel est aussi particulièrement développé ici. En revanche une très bonne surprise nous attendait : les délais de paiements. Ces délais sont généralement compris entre 30 et 60 jours et 30 jours reste 30 jours. Il est TRES MAL VU de ne pas payer en temps et en heure ici … cela vaut pour ses clients mais aussi pour ses fournisseurs. Il est donc bien plus facile d’établir des plans de trésorerie et de ne pas se retrouver à devoir faire la banque de ses clients.
Expatriation.com : Quels sont les contraintes que vous avez rencontrées ?
Jean-Michel Planche – La première est de comprendre la gestion aux Etats-Unis. La fausse bonne idée est de penser que tout peut se sous-traiter. Au début, cela aide, mais très vite, le besoin de ré-internaliser pour gagner en efficacité / prix, se fait sentir.
Ensuite, (mais est-ce une contrainte ?), vous devez faire ce que vous annoncez. Les Américains n’aiment absolument pas le “vaporware” et de nombreuses fois, on nous a demandé si le produit dont nous parlions existait vraiment. Non pas par méfiance par rapport à nous, mais parce qu’ils ont trop l’habitude des effets d’annonce “papier”. Si vous annoncez que votre produit sera livrable dans 2 mois, c’est 2 mois. Pas 2 mois et 10 jours. A la limite, il vaut mieux annoncer 3 mois … mais ne pas forcement livrer en avance. ;-)
En fait, les Etats-Unis sont un pays de PROCESS (« by the book »). Si vous êtes dans le process, tout va bien. Si cela commence mal … il y a de grandes chances que cela finisse mal et les méthodes françaises n’y feront rien … à part passer pour des forcenés ;-)
Les mutuelles complémentaires sont aussi un domaine assez “opaque”. Il est difficile de savoir avant de signer ce que cela va coûter exactement par rapport à ce que cela va “rapporter”. En fait, on a l’impression de payer cher un service que l’on ne peut pas utiliser ou très peu. Mais, la santé aux Etats-Unis est un sujet bien connu et il vaut mieux être jeune et bien portant …
Expatriation.com : Quels sont les avantages par rapport à la gestion française d’une entreprise ?
Jean-Michel Planche – Commençons par un inconvénient : les sales taxes. Nous en avons parlé. La TVA est bien plus facile (et neutre) et plus souple. D’autres pays utilisent ce principe de TVA (comme le Canada), mais n’ont pas la souplesse que l’on retrouve en France de pouvoir la déclarer sur les encaissements ou sur la facturation et cela fait une grosse différence. Surtout lorsque les clients payent à 60 jours ou plus …
Les sales taxes sont l’expression même des Etats-Unis, un pays “user centric” où il est souvent beaucoup plus demandé aux entreprises et où l’état central n’est pas “tout puissant” (le fédéral a encore beaucoup de pouvoir).
Il y a beaucoup de travail pour échanger avec les différents Etats et cela est un peu pénible, en tous les cas bien moins efficace que le système “centralisé” de TVA en France … On touche d’ailleurs ici à une grande différence entre un état “centralisant” et un état “fédéral”.
Pour tout le reste, je vois surtout des avantages. Disons que nous n’avons pas l’impression d’une lourdeur excessive, ni de devoir subir un risque non maitrisé. Les lois de finances ne changent pas tous les ans.
Sinon si on parle d’avantages financiers … on est aux Etats-Unis. On se débrouille ! Les avantages financiers, il n’y a quasiment pas (en ce qui nous concerne) d’aide. Dans certains cas, l’Etat de New York accorde des exonérations d’impôts sur les bénéfices pour favoriser le développement d’un tissus économiques “high tech”. Pour ce qui est du CIR, mesure phare essentielle en France, cela n’existe pas ici. Par contre, le Canada a un programme tout à fait sérieux.
Le social est bien sûr beaucoup plus simple et souple qu’en France. Et il est faux de croire que l’on peut se séparer d’un collaborateur “n’importe comment”, n’importe quand. Du moins pas dans nos secteurs. Mais la “séparation” n’est pas un drame et ne constitue pas un frein à l’embauche.
Des organismes existent pour traiter tout le processus de paye et tout se fait par Web / Internet.
Quand je dis qu’il n’existe pas beaucoup d’aides aux Etats-Unis, je dois dire qu’en France, beaucoup d’aides existent, mais ne sont pas forcément accessibles aux sociétés telles que les nôtres (trop petites, trop grosses, qui n’emploie pas de gens payés au SMIC…).
Comme le coût du travail est moins élevé ici, le besoin de le faire artificiellement baisser par des mesures sectorielles, se fait moins sentir.
Expatriation.com : Comment vivez-vous cette expérience aujourd’hui avec du recul ?
Jean-Michel Planche – Extrêmement positivement car lorsque nous avions créé la société en 2000, nous pensions exactement à ce modèle d’entreprise que nous développons aujourd’hui : utiliser les meilleures ressources là où elles sont disponibles. C’est l’inverse même de la délocalisation. Nous ne délocalisons par la R&D de France vers un pays à moindre coût salarial. Nous avons d’excellents Ingénieurs, Développeurs en France. Par contre, il est très difficile, voire dangereux, de constituer un team de premier plan avec une perspective économique restreinte au seul territoire Français. Il faut donc, pour pouvoir développer l’un pour développer l’autre et c’est un cercle vertueux : plus de commande à l’international = plus de besoins = besoins de plus de ressource = création d’emplois hautement qualifiés en France = plus de capacités = plus de produits …
L’international est une aventure fantastique. Développer une technologie qui sera utilisée par les plus grands opérateurs dans le monde, comprendre comment ils travaillent dans leur contexte, penser et développer des particularités qui deviendront la norme quelques années plus tard, tout cela est rendu possible par la vision qu’impose l’international.
Expatriation.com : Quels conseils donneriez-vous à des Français désireux de créer leur entreprise aux Etats-Unis ?
Jean-Michel Planche – Etre prêt à voyager beaucoup et bien penser leur lien de “dépendance” avec la France. Si ce lien existe, volontairement ou non, il est impensable de travailler avec 9 h de décalage horaire (pour la côte Ouest) et de revenir en France 1 fois par an. La côte Est est un must, New-York n’étant qu’à quelques heures de Paris et bénéficie d’une vraie demi-journée de travail avec la France. C’est la ville américaine la plus proche de la France !!! Mais cela reste une ville chère.
Ensuite, je ne crois pas vraiment que l’on puisse développer une entreprise aux Etats-Unis sans y être. Tôt ou tard, les fondateurs doivent s’y rendre pour “comprendre”, pour “sentir” les choses. Les conf. call et les Webex, c’est un mythe. Oui cela existe, mais la confiance ne s’établit pas en envoyant 2 mails. Il faut une présence régulière et un véritable engagement de fond.
Les Etats-Unis, ce n’est pas la dernière roue du carrosse, lorsque l’on a “foiré sa startup en France”, comme je l’ai entendu. Ça n’est pas un plan B, ni même un plan A. C’est une stratégie, c’est une volonté et c’est une chance.
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